Montpellier, le 4 octobre 2018
Objet : expulsion vers l’Italie le 4 octobre 2018 de Ilyassa Condé
Monsieur le Préfet, Monsieur le Sous-préfet Philippe Nucho,
Le collectif MB34 proteste depuis juillet 2017, et encore une fois dans le courriel que nous vous avons adressé le 24 juillet dernier à 18h36, contre la pratique administrative intolérable qui a déjà été condamnée judiciairement mais qui a pourtant libre cours et se répète inlassablement dans l’Hérault, qui consiste à expulser en « Transfert Dublin » nos amis demandeurs d’asile sans humanité ni même respect des dispositions légales applicables.
Trop souvent, les demandeurs d’asile placés en « procédure Dublin » à Montpellier et environs sont arrêtés sans avertissement préalable, que ce soit dans leur chambre au PRADHA de Villeneuve les Maguelonne, à l’hôtel de police de Montpellier ou à la gendarmerie de Villeneuve quand ils s’y rendent plusieurs fois par semaine pour « pointer » dans le cadre de leurs assignations à résidence.
Après une retenue administrative de plusieurs heures pendant laquelle ils ne sont informés de rien de précis quant au calendrier qui les concerne (au mieux, on leur dit qu’ils vont prendre l’avion, sans savoir précisément ni quand, ni pour où, ce qui est très anxiogène), ils sont conduits en soirée aux centres de rétention de Sète ou de Nîmes.
Vu l’heure d’arrivée tardive au CRA – il s’agit clairement d’une pratique délibérée -, ils ne peuvent rencontrer personne : ni l’association Forum réfugiés prévue au sein du CRA pour les assister humainement et juridiquement, ni le personnel de l’OFII supposé – selon la Loi – vérifier individuellement leur état de vulnérabilité, veiller au regroupement de leurs affaires personnelles, etc.
Les citoyens qui les soutiennent et les accompagnent pour leurs rdv administratifs sont, de même, tenus dans l’ignorance de leur sort, au mieux invités à aller les visiter le lendemain au CRA, aux horaires de visites.
Mais il n’y aura pas de visite au CRA, le lendemain … !
Car le lendemain, à l’aube, ces demandeurs d’asile sont conduits directement à l’aéroport de Montpellier, d’où ils décollent vers 6h du matin pour Paris, avant d’être conduits dans la matinée, menottés, dans un autre avion, le plus souvent pour l’Italie, avec pour seul bagage ce qu’ils portaient sur eux lors de leur arrestation.
Ces personnes n’ont pourtant rien fait d’autre que de demander à la France une protection internationale ! Ils ne sont coupables de rien !
Ce matin, c’est encore Monsieur Ilyassa Condé, arrêté hier après midi à l’hôtel de police à Montpellier où on lui avait demandé de revenir après son pointage de 16h, soi disant « pour lui remettre un papier qu’on avait oublié de lui donner », qui a été retenu et expédié vers Paris, toujours sans connaitre sa destination finale, avec le seul tee-shirt et pantalon qu’il portait ce jour là, sans que personne n’ait pu le voir, lui dire au revoir, avec en tout et pour tout quelques euros en poche, sans aucun examen de sa vulnérabilité pourtant bien réelle et sans que personne n’ait pu lui apporter la moindre de ses affaires personnelles… !
Ilyassa a juste été en mesure d’indiquer par téléphone en fin de matinée depuis Paris qu’on l’envoyait à Florence en Italie, où personne ne l’attendait, aucune association italienne n’ayant pu être prévenue à temps pour l’accueillir et l’aider. Ce soir, Ilyassa est dans la rue, quelque part en Italie. Seul, perdu, sans rien.
Etes vous informé de la situation politique en Italie, Monsieur le Préfet ? Le parquet de Palerme (Sicile) a confirmé le 7 septembre avoir ouvert une enquête contre le ministre de l’intérieur italien pour séquestration de personnes, arrestations illégales et abus de pouvoir lorsqu’il a refusé de laisser débarquer 150 migrants secourus par les gardes-côtes italiens : il affiche sur sa page Facebook ces poursuites comme une médaille et revendique le soutien de 60 millions d’italiens. Avez-vous connaissance du dernier décret proposé par Mr Matteo Salvini contre les personnes étrangères ?
Les actes xénophobes, commis par des extrémistes de droite et fascistes qui se sentent couverts politiquement et procèdent à des actions violentes, sont banalisés ; les attaques contre les ONG, idem ; la criminalisation des personnes arrivant en Italie, notamment celles arrivant par la mer mais pas seulement, est manifeste ; une dure offensive est menée contre l’institut juridique de la protection pour motifs humanitaires, etc.
De nombreux tribunaux administratifs français, encore récemment le tribunal administratif de Bordeaux dans une décision du 29 aout 2018 (en PJ), annulent les arrêtés préfectoraux de transfert Dublin vers l’Italie, force étant de constater que « … les déclarations récentes sur les migrants, tant du ministre de l’intérieur que du président du conseil et du vice-président du conseil italiens, ne permettent pas de regarder ce pays comme donnant aux demandeurs d’asile toutes les garanties nécessaires pour un examen attentif et objectif de leur demandes d’asile ; que dans ces conditions, en décidant de transférer Monsieur X aux autorités italiennes sans mettre en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l’article 17 du règlement (Dublin), le Préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation ».
Nous vous demandons, Monsieur le Préfet, d’apprécier à votre tour justement et humainement la situation actuelle et de réviser sans plus attendre les décisions administratives de « dublinage » en cours d’exécution, de telle sorte que les personnes exilées que nous accompagnons au quotidien, avec qui nous avons tissé des liens forts, ne soient plus rejetées ignominieusement en Italie ou ailleurs, sur des chemins d’errance et de dénuement sans fin et puissent voir leurs demandes d’asile examinées sérieusement en France.
Collectif Migrant-e-s Bienvenue 34