Et c’est reparti… ! Désespoir pour lui. Trahison pour nous.
Babiker 26 ans né au Darfour Ouest : ah.., ce n’est pas de chance, ça fait 30 ans qu’au Darfour, des bandes armées alimentées par le régime en place tuent, torturent, violent, pillent, en toute impunité ; l’ONU impuissante ou presque ; une des pires dictatures de la planète.
Babiker réfugié à Kartoun : dans un bidonville avec sa famille, pas de paix, on ne les laisse pas s’installer, pas d’études possibles, considérés comme des opposants du Darfour, surveillés, traqués, harcelés sans cesse…
Babiker en Lybie : qui de fuir son sort et arrive en Lybie, dans un pays en guerre civile, où règnent les armes, le racket, la prison sans jugement, la torture, les rançons et travaux forcés, l’esclavage pour les plus vulnérables, où l’humanité ne semble plus exister. C’est à ce pays que l’UE vient justement d’octroyer mi juillet 46 millions d’euros pour former les gardes frontières aux droits de l’homme, tandis qu’elle octroie 35 millions à l’Italie pour l’aider à l’accueil des migrants ; tiens…
Babiker sur un bateau pourri : terrorisé, qui tente de traverser la méditerranée, rêvant de l’Europe et de ses droits de l’homme, qui sait que « la mort est toute proche de moi, partout sur ma route ».
Babiker en Italie : après 11 jours parqué dans un camp sicilien jusqu’à ce qu’il donne ses empreintes digitales en juillet 2016 pour nourrir le fichier Eurodac, il est prié de quitter l’Italie sous 7 jours et d’aller voir ailleurs en Europe : l’Italie ne peut pas accueillir tout le monde, que voulez-vous, et elle ne veut pas des soudanais, qu’elle renvoie trop vite au Soudan : ça lui a déjà valu en septembre 2016 une plainte de 5 soudanais devant la CEDH, alors bon.., qu’un autre pays européen se charge de les y renvoyer ! Brinqueballé jusqu’à Milan où aucune institution ne le prend en charge, ramené tout en bas de la botte italienne à Taranto où il n’est pas plus accueilli, livré à lui-même et démuni de tout, Babiker part pour la France, comme l’y invite les italiens.
Babiker à Paris, enfin ! Aout 2016, joie, il y retrouve son cousin germain maternel, élevé et grandi au Soudan tout comme lui, avec le même déplorable vécu soudanais. Il pense enfin pouvoir respirer, on enregistre sa demande d’asile, il est logé et a une petite allocation pour se nourrir. Il ne s’attarde pas sur la mention « Procédure Dublin » sur son attestation, car on lui a promis que s’il accepte, tout comme son cousin et d’autres « relocalisés » en province, de monter dans un bus pour Montpellier, ils ne seront pas renvoyés aux frontières, leurs dossiers seront bien examinés en France par l’OFPRA. .
Babiker à Montpellier : depuis début novembre 2016 qu’ils sont au CAO Marconi du Millénaire, son cousin a été reçu en entretien par l’OFPRA, qui a étudié sérieusement et vérifié son dossier et lui a accordé l’asile et la carte de réfugié. Son cousin est heureux et Babiker attend son tour, apprend le français, noue des liens avec les habitants de Montpellier, partage des bouts de nos vies, réapprend à sourire, à faire confiance, croit pour la première fois en l’avenir possible d’une vie d’homme pour lui aussi…
… Jusqu’au 18 juillet dernier où tout s’écroule brusquement, s’accélère soudainement, sans qu’on ne sache pourquoi ! La préfecture lui notifie ce jour là, comme à 5 autres soudanais, une assignation à résidence au CAO du Millénaire au motif d’un possible risque de fuite, le contraint à se rendre chaque jour à 16h au commissariat, avec tous ses effets personnels, pour attester sa présence (bizarre.., il ne cherche pas à fuir).
Le Tribunal administratif de Montpellier, qui reconnaît l’absence de risque de fuite, valide pourtant le 24 juin la mesure d’assignation à résidence, qu’il n’estime pas disproportionnée. Disproportionnée à quoi ? A l’anxiété violente qui soudain réapparait, celle de ne pas savoir ce qu’on vous réserve, ce qu’on vous cache, ce qu’on prépare pour vous mais sans vous en informer, ce que va être votre sort et où vous serez demain ? Celle qui fait que Babiker fait brusquement un malaise puis se ressaisit vite vite, pour nous laisser croire qu’il n’a pas trop peur, que ça va quand même, qu’il garde espoir jusqu’au bout ?
Le lendemain 25 juillet à 16h, malheur !, ses 4 compatriotes d’infortune repartent du commissariat sans lui, Babiker est retenu dans un bureau de la Police de l’air et des frontières pour « vérifications », puis embarqué dans une voiture vers dieu sait où, sans adieux possibles, sans aucune sérénité, préparation, information. On va avertir son avocat, dit la police : ce n’est pas vrai ; il faudra attendre le lendemain matin pour apprendre qu’il a été placé la veille au Centre de rétention de Nîmes dans le Gard (pourquoi pas au CRA de Sète, dans l’Hérault ?), qu’il lui faut donc un autre avocat nîmois cette fois, pour déposer un recours devant le Juge de la liberté et de la détention du TGI de Nîmes.
Le recours est déposé en urgence, mais la Loi n’oblige pas à attendre : alors, on accélère encore, on embarque Babiker en voiture vers l’aéroport de Montpellier pour un vol du début d’après-midi. Ses amis, partis pour lui dire adieux au cra, l’y rejoignent pour lui remettre des cadeaux avant son départ. Ils dérangent ? Ils sont des témoins gênants d’une expulsion qu’on voudrait plus discrète, invisible ? Qu’à cela ne tienne, on annule le départ de Babiker, on annonce qu’on le ramène au centre de rétention de Nîmes.
Les amis repartent chez eux, persuadés que le juge judiciaire, garant des libertés de chacun en matière de privation de liberté injustifiée, va statuer ce matin et libérer Babiker. Qu’à cela ne tienne, la préfecture n’attendra pas la décision du juge et ramène Babiker à l’aéroport en catimini dans la soirée, pour un vol à 22h pour Paris, puis ce matin pour Bologne en Italie. Reparti quasiment à la case « départ », Babiker lutte aujourd’hui contre le désespoir, se demande où il va dormir ce soir, nous dit : « ma vie sans France va être difficile ».
L’avocate nîmoise de Babiker a plaidé tout seule ce matin, sans son client à ses cotés, devant un Juge de la liberté et de la détention de Nîmes embarrassé par cette expulsion déjà réalisée à l’heure où il statue. Il vient de juger qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer sur la demande de prorogation de la détention demandée par la préfecture, puisque Babiker a déjà été « éloigné » et que cette demande administrative est donc devenue sans objet. Il a curieusement omis de statuer sur l’illégalité de la mesure de rétention en CRA dont l’avait pourtant saisi l’avocate de Babiker.
Babiker voulait pouvoir jouir de ses droits jusqu’au bout, espérant être entendu par la Justice française. Il avait donné mandat pour faire appel en cas de rejet de son recours. Nous y veillerons, pour son honneur et le notre.
Qui Babiker dérangeait t-il donc, dans notre beau département, pour qu’on le traite autrement que son cousin germain maternel, reconnu comme légitimement réfugié en France ? Qu’est ce qui justifie cette différence entre eux, cet arbitraire, alors qu’ils ont grandi ensemble et partagent la même histoire ? L’un réfugié, l’autre expulsé vers l’Italie, cela n’a pas de sens.
A quoi joue la préfecture de l’Hérault avec Babiker et ses quelques compagnons d’infortune, si ce n’est au chat et à la souris, en décidant de les déplacer tels des objets à qui il n’est nul besoin de donner d’information préalable, que l’on peut soustraire précipitamment au regard du Juge judiciaire et expulser hors les yeux de ses amis ?
A Montpellier, au Vigan, à Barcelonnette, à Calais, à Paris, à la Roya, à Briançon, etc., partout en France, des citoyens s’insurgent, appellent, crient, pleurent, supplient, se mettent en colère, choqués de constater que c’est prétendument en leur nom qu’on applique une politique migratoire indigne, délibérément sous-dimensionnée, juste bonne à cultiver le rejet de l’autre, les divisions, les fractures sociales…
Nous sommes nombreux à vouloir que Babiker et d’autres soient accueillis dignement en France, au nom de nos valeurs et traditions d’accueil. Nous sommes nombreux à comprendre que l’Italie n’a pas à supporter seule les raisons de l’exil, sans pouvoir compter sur la solidarité européenne qui ne peut se résumer à quelques millions d’euros supplémentaires.
Nous sommes nombreux ! Montrons-le ! Faisons le savoir ! Refusons de nous taire ! Rejoignez le collectif Migrant-e-s Bioenvenue 34 !