Gérard Collomb met la pression aux préfets sur l’immigration irrégulière

Un article tiré du site Ados sans frontières

Dans une circulaire du 20 novembre, le ministre de l’intérieur les exhorte à obtenir des résultats rapides sur les migrants.

La circulaire est ici, le décryptage de cette circulaire par la Cimade ici.

La « circulaire du 20  novembre », comme l’appellent les préfets, ce sont 14 pages intitulées « Objectifs et priorités en matière de lutte contre l’immigration irrégulière » que Gérard Collomb vient de leur adresser. Un texte, « raide », « sec », de l’avis général, qui conjugue à tous les modes « éloignement », « transferts » et « rétention » des étrangers.

Si le ton est abrupt, c’est que le ministre de l’intérieur veut des résultats rapides. Une loi sur -l’immigration est certes prévue au début du printemps, mais sur ce sujet comme sur d’autres, l’exécutif est pressé. Aussi M. Collomb prévient ses préfets qu’ »il est nécessaire d’agir rapidement, à droit constant ». Et pour cela, il leur demande de lui adresser « d’ici à la fin du mois de février  2018, un bilan de la lutte contre l’immigration irrégulière dans votre département en  2017, et votre plan pour la mise en œuvre des présentes instructions au cours des prochains mois. (…) La lutte contre l’immigration irrégulière relève de chaque préfet de chaque département », leur rappelle-t-il aussi, faisant déjà peser sur eux le poids d’un possible échec…

Avec la préfectorale, le ton avait été donné le 10  octobre. Ce jour-là le préfet de Lyon, Henri Michel Comet, avait été remercié parce qu’un Tunisien, meurtrier de deux jeunes filles à Marseille le 1er  octobre, aurait dû se trouver en rétention. « Un grand serviteur de la République évincé parce qu’il fallait qu’une tête tombe, ça a déjà mis la pression sur nous tous. Désormais, on envoie tous les étrangers qui volent une orange  en rétention », confie l’un d’entre eux, peu convaincu des résultats, et assez fâché de l’ambiance. « En plus, comme pour entretenir ce climat, les visioconférences du mardi entre les préfets et le cabinet du ministre, s’ouvrent une fois sur deux sur le bilan chiffré des expulsions d’étrangers », poursuit un autre, agacé.Eloignements et transferts.

Le chef de l’État leur avait déjà confié son regret le 5  septembre à l’Elysée, que »nous laiss(i)onss’installer des centaines de milliers » de personnes dans un « no man’s land administratif », parce que « nous reconduisons beaucoup trop peu ». C’était dire en creux qu’ »éloignements » et « transferts » doivent être la clé de voûte de la politique migratoire des préfets. Reste que toutes les expulsions ne se valent manifestement pas puisque les représentants de l’Etat sont priés de se concentrer sur « l’éloignement contraint des ressortissants des pays tiers vers les pays tiers » qui « représente l’indicateur le plus significatif de l’efficacité de la politique d’éloignement », précise le texte.

Ce zèle extra-européen ne doit pourtant pas faire oublier ce que l’on appelle les « transferts Dublin ». Ce renvoi des demandeurs d’asile vers les pays où ils sont arrivés en Europe est même jugé « indispensable » et le ministre attend d’ailleurs « un accroissement des transferts effectifs ». Pour y parvenir, il propose même d’ »assigner à résidence dès la présentation au guichet unique ». Une idée pour les préfets qui n’y ont pas déjà pensé. Dans son mémo, le ministre met aussi -largement l’accent sur l’expulsion des déboutés de l’asile. Il propose aux préfectures d’être prévenues de tous les déboutés de l’asile en temps réel. Par ailleurs, elles recevront « toutes les semaines la liste des déboutés par site d’hébergement », pour « prendre toutes les mesures en vue de l’éloignement effectif », rappelle la circulaire. Les « restrictions et privations de liberté « étant quasiment conseillées pour avoir toutes les chances de réussir ses renvois. D’ailleurs, le ministre annonce la création de 200 places de plus en rétention, en métropole, dans les prochaines semaines dont 59 à Vincennes, et la réouverture d’un Centre de rétention administrative (CRA) à Strasbourg.

Si la détermination pointe à chaque ligne, elle risque de ne pas tout faire. Tout n’est pas en effet entre les mains de la préfectorale puisqu’il faut des laissez-passer consulaires et aussi que le juge des libertés ne fasse pas libérer l’étranger mis en rétention… D’ailleurs, depuis l’affaire de Lyon, les préfets enferment beaucoup plus pour se couvrir, mais le taux d’expulsions n’a pas monté, selon les calculs de la Cimade. En revanche, le taux de libérations par les juges a augmenté, selon la même association, et le taux général d’exaspération des personnels, y compris de la police, qui travaillent dans les CRA, est lui aussi monté d’un cran.

Si côté préfet, on fait profil bas, de peur d’être muté au prochain conseil des ministres, une initiative rare a tout de même eu lieu dans la haute fonction publique le 23  octobre. Le ministre et les préfets ont reçu ce jour-là un courrier signé du « Collectif article  15 », composéd’élèves des dernières promotions de l’ENA. Cette lettre dont Le Monde a eu copie, les interpellait sur Calais, la Roya et quelques autres lieux emblématiques, interrogeant ces fonctionnaires sur les « atteintes à l’Etat de droit ou les traitements inhumains et dégradants « dont ont été victimes des migrants. Et leur demandait : « Quelles sont les mesures que vous envisagez de prendre afin d’y mettre fin et de nous rendre la dignité attachée à l’exercice de nos fonctions ? »