L’impossible suivi psychologique des migrants

Un migrant à Calais, dans le nord de la France. Crédit : Mehdi ChebilPar Leslie Carretero Dernière modification : 01/06/2017

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Crise d’angoisse, maux de tête, cauchemars… La route de l’exil peut provoquer chez certains migrants des traumatismes et entraîner des dépressions. Des symptômes qui ne s’arrangent pas toujours dans le pays d’arrivée.

C’est un sujet dont on ne parle que très rarement voire jamais : les souffrances psychologiques que connaissent les migrants sur la route de l’exil mais aussi une fois arrivés à destination. Pourtant, les traumatismes sont nombreux et souvent très lourds : maux de tête, terreurs nocturnes, perte de repères spatiaux-temporels, cauchemars, dépression, crise d’angoisse, idées suicidaires… En janvier dernier, un jeune malien de 16 ans s’est suicidé en sautant du huitième étage de son foyer. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé.

Tous les psychologues sont unanimes : la prise en charge est primordiale. « Le fait de mettre des mots sur des traumatismes permet d’atténuer les souffrances », assure Sophie Mothiron, psychologue clinicienne spécialisée dans l’interculturalité au sein de l’association toulousaine Palabre, espace interculturel.

A Paris, depuis l’ouverture du centre humanitaire de La Chapelle en novembre dernier, seulement 449 consultations psychologiques ont été délivrées. Un chiffre bien faible au regard des 7 750 personnes qui y ont été hébergées depuis plus de six mois.

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Vaincre le tabou

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’absence de prise en charge et/ou d’intérêt pour des consultations d’ordre psychologiques. Tout d’abord, comme l’explique Sophie Mothiron, « dans certains pays, la profession de psychologue n’existe pas ou est peu connue ». Dans d’autres, recevoir des soins psychologiques est tabou voire honteux. Il faut alors se présenter, expliquer son métier avant chaque entretien et mettre les patients en confiance. La psychologue précise également toujours qu’elle n’a aucun lien avec la justice ou l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et qu’elle se doit de respecter le secret médical.

Pour quelques-uns, le psychologue est un médecin et délivre donc seulement des médicaments. « La dernière fois, un jeune homme avait de terribles maux de tête, explique Sophie Mothiron. Il m’a demandé de lui donner des médicaments pour ne plus souffrir, pour que ses difficultés disparaissent. Il n’a pas compris tout de suite que sa guérison prendrait du temps et qu’elle passerait par le dialogue ».

Difficile de prendre le temps d’un vrai travail 

L’autre facteur qui ne facilite pas la prise en charge et la guérison est l’absence de suivi. Les migrants sont très souvent en mouvement, ils ne restent qu’un temps en CAO (centre d’accueil et d’orientation) ou en CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile). Ainsi, une séance avec un psychologue ou un psychiatre est rarement reconduite. Or, « les traumatismes sont tellement grands qu’une séance ne suffit pas », insiste Sophie Mothiron.

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Hormis les souffrances vécues dans leur pays d’origine ou sur la route de l’exil, l’isolement dans les pays européens provoque chez les migrants un état dépressif qui peut engendrer un repli sur soi voire des tentations suicidaires. « Pour beaucoup d’entre eux, la France est la patrie des droits de l’Homme. Or, ils se rendent vite compte qu’il n’y a pas de véritable accueil ici. Au contraire, on les met dans une position d’attente », analyse Jean-Pierre Martin, psychiatre consultant pour Médecins du monde (MDM).

Cette situation est une violence supplémentaire qui laisse réapparaître les précédents chocs traumatiques – ce qu’on appelle aussi le syndrome post-traumatique. Dans ce genre de cas, la thérapie nécessite donc du temps avec chacun d’eux. Or, c’est là que le bât blesse. Pour Jean-Pierre Martin, le rôle qu’il peut avoir est de fait limité : « Sans prendre le temps, nous ne pouvons pas faire un réel travail de psychiatrie ou de psychologie mais seulement d’écoute ».

Des structures peu adaptées

De plus, les structures d’accueil pour ce type de consultations et de suivi manquent. Celles qui existent déjà se disent saturées. Le psychiatre de MDM qui reçoit chaque jeudi quatre à cinq migrants préconise de créer des lieux d’accueil adéquat avec un psychologue ou psychiatre présent dans la durée. « Même ceux qui ne présentent pas de troubles – ce qui est très rare – ont besoin d’un suivi prolongé », assure-t-il. Sophie Mothiron est du même avis. Selon elle, il faut développer des dispositifs spécifiques : des petites structures mieux adaptées au public migrant.

D’autant que le personnel médical – médecin et psychologue – n’est pas ou peu formé pour travailler avec cette population. « Toute la politique d’accueil est à revoir, conclut Jean-Pierre Martin. Ce n’est pas une crise migratoire mais une crise des dispositifs d’accueil », conclut-il.

>> Pour plus d’informations sur les pôles santé de Médecins du monde :  http://www.medecinsdumonde.org/fr/ville/paris