Lettre à la préfecture du 27/04/2017 pour demander de stopper le renvoi de 4 amis du CAO prévu la semaine prochaine

 de Migrants-e-s Bienvenue 34

Montpellier le 26 avril 2017,

Monsieur le Préfet Pierre Pouëssel,

Nous avons été reçus par vos services, le 5 avril dernier, dans le cadre de notre action collective citoyenne de soutien aux migrants arrivés jusque dans l’Hérault.

Nous vous avons fait part, à cette occasion, de notre demande de vous voir faire usage de votre pouvoir d’appréciation pour stopper les renvois de migrants vers d’autres pays européens (principalement l’Italie) en vertu du règlement Dublin III.

Vos services nous ont informés le lendemain que les dossiers de deux soudanais résidents au CAO de Montpellier avaient été reconsidérés et qu’ils étaient « dé-dublinés ». Nous avons appris quelques jours plus tard que les dossiers de quatre autres demandeurs d’asile du CAO avaient fait l’objet d’un réexamen ayant abouti à une résultat similaire. Nous nous en sommes réjouis collectivement.

Aujourd’hui, les « parrains / marraines » de Messieurs Abbas Mohamed,Babikir Mohamed, Hamdan Hessan et Abdalrazeg Babo nous informent que ces jeunes hommes soudanais se sont vus remettre des billets d’avion pour quitter Montpellier vers l’Italie, respectivement les 2 et 3 mai prochain.

Nous ne pouvons admettre cela et nous nous permettons donc de vous interpeller à nouveau.

Il se confirme en effet, chaque jour davantage, que l’Italie – pour laquelle la Cour Européenne des droits de l’Homme avait déjà émis, dans un arrêt de novembre 2014 « de sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système » –, ne parvient pas à gérer le traitement de toutes les demandes d’asile des réfugiés qui arrivent sur ses côtes, que ce soit en premier rang, ou bien suite aux renvois Dublin pratiqués par ses partenaires européens, ou bien encore pour relocaliser les personnes en hot-spots comme il avait été promis par l’UE, peu solidaire comme le relèvent à juste titre les autorités italiennes.

En tant que Préfet de notre département, vous n’ignorez pas que l’Italie ne fait pas face à ses obligations internationales s’agissant de très nombreux migrants qui sont arrivés en Europe ces derniers mois via son sol :

d’une part, en obtenant de force, sous la contrainte psychologique et parfois avec violences physiques, leurs empreintes et alimenter ainsi le fichier Eurodac comme l’y contraint l’Europe,

d’autre part, en s’abstenant d’examiner leurs cas individuels, en les laissant livrés à eux-mêmes avec pour seule injonction de quitter le territoire italien sous 7 jours pour aller où bon leur semble,

enfin, lorsqu’ils lui sont renvoyés en vertu de Dublin III, en procédant à des expulsions collectives, pourtant interdites par les textes internationaux.

Les récits qui nous sont livrés par nos filleuls sur ce qui leur est arrivé, une fois posé le pied en Italie, se succèdent et concordent : prise d’empreintes forcées dans des conditions extrêmement menaçantes , voire sous les coups, puis abandon total dans la rue, avec ordre de partir d’Italie sous 7 jours.

Ces jeunes gens, qui font confiance à la France, qui nous racontent les terribles périples qui les ont conduits jusqu’à nous, à qui nous exprimons quotidiennement notre solidarité et notre empathie, savent qu’ils risquent la torture, la prison, la mort, s’ils sont réexpédiés en Italie (un leurre !) avant d’être renvoyés vers le pays qu’ils ont fui.

En parfait écho avec les cris d’alerte lancés par les ONG, l’Ambassadeur Tomás Boček, Représentant spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés, a effectué une mission d’information en Italie en octobre 2016, : il souligne dans son rapport publié le 8 mars 2017 par la Direction de la communication du Conseil de l’Europe, la nécessité pour l’Italie d’améliorer sa capacité d’accueil des demandeurs d’asile et ses politiques d’intégration, de prévenir la traite des êtres humains et de lutter contre la corruption dans le secteur des services aux migrants. Le Représentant spécial y met également en garde le Conseil de l’Europe contre les défaillances du système italien de départs volontaires et d’expulsions forcées et recommande une solidarité accrue de la part d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe pour organiser une répartition plus équitable des demandeurs d’asile sur le continent et alléger la charge qui pèse actuellement sur l’Italie.

Dans le cadre de la préparation de l’évaluation réalisée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU les 9 et 10 mars dernier, la Coalition italienne des libertés civiles a publié son rapport sur la situation des droits de l’homme en Italie. Elle met en exergue des expulsions collectives de migrants vers leurs pays d’origine ou vers des pays de transit, en violation du principe de non-refoulement, et fait part de ses graves inquiétudes vis-à-vis des violations systématiques des droits de l’homme perpétrées. L’Italie n’est plus actuellement en mesure d’assurer que les accords bilatéraux et multilatéraux qu’elle signe sur la migration garantissent le respect intégral des droits de l’homme ni qu’ils sont conformes au principe de non-refoulement.

La stricte application du règlement Dublin III pour des renvois vers l’Italie est donc devenue totalement inique aujourd’hui, vu la défaillance systémique de ce partenaire européen, voire à tout le moins les violations constatées des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 3 de la CEDH. STOP DUBLIN !

Votre collègue, Préfet du Nord, a su rassurer les migrants du camp de Grande Synthe mi-avril pour les convaincre de monter dans des bus et les relocaliser en province : « Allez dans ces centres vous reposer sans peur. Je vous donne ma parole que vous serez sous la protection de l’Etat français et que personne ne vous reconduira à la frontière ».

Monsieur le Préfet de l’Hérault, nous vous demandons instamment de nous rassurer à notre tour collectivement sur le sort que vous réservez aux migrants accueillis dans notre département, dont notamment Messieurs Abbas Mohamed, Hamdan Hessan,Babikir Mohamed et Abdalrazeg Babo.

Dans l’attente de votre réponse (à l’adresse migrants.bienvenue34@riseup.net), nous restons collectivement vigilants.

Le Collectif Migrants-e-s Bienvenue 34